Je continue ici une série d'articles sur les passages peu connus des conflits modernes. Ces articles couvriront toutes les armées, françaises ou étrangères, et tout les corps d'armée. Le but n'est pas tant d'en faire de la propagande, que de raconter des perles tactiques ou montrer la valeur de certains personnels.
S'il est de notoriété publique que la France a perdue la première partie de la seconde guerre mondiale, cette perception de la réalité est fausse. Il est des exemples que la France, si Pétain et son défaitisme n'avait pas signé l'armistice, aurait pu continuer à se battre. D'une part, l'Armée des Alpes, à peine entrée en jeu depuis un mois, connaissait des victoires à 1 contre 6, face aux Allemands et aux Italiens à la fois. De plus, à l'étranger, Légion Etrangère aidant, les Alpins avaient connus un succès retentissant en Finlande lors de la bataille de Narvik, repoussant les forces soviétiques.
Mais un autre exemple, bien moins connu celui-ci, se passait dans les airs.
Ingeniérie et génie
En 1939, la France est à la tête d'une industrie aéronautique resplendissante. Pionnière en la matière lors de la 1ère guerre mondiale avec Nieuport, SPAD, Blériot ou Farman ; la France est toujours dans le trio des puissances de tête du monde avec l'Angleterre et l'Allemagne.
Les Avions Farman notamment peuplent les flottes postales et passagères d'Air France avec leur long rayon d'action de 10 000km, et lors de l'entrée en guerre de la France, l'aéronavale va en réquisitionner 3, qui seront basés à Poulmic.
Le Capitaine de Corvette Daillière, commandant l'Escadrille E.5 où sont basés les Farman, prendra l'un de ces trois avions de passager, le "Jules Verne", et le transformera quasiment immédiatement en bombardier. Quelques soucis cependant, les bombes situés sous le ventre frottent littéralement le sol, se situant à 20cm de celui-ci. Cela est d'autant plus un problème qu'à l'époque les terrains d'aviation ne sont pas plats et sont sur l'herbe, souvent mal taillée.
Mais, aux yeux de Daillière, cela n'a aucune importance et l'avenir lui donnera raison.
Le 5 Juin 1940, alors que la Blitzkrieg bat son plein, que la ligne Maginot est déjà prise et que l'Armée des Alpes "débute" ses premiers combats, le Jules Verne est prêt et son équipage aussi. Mais il faut d'abord définir une stratégie ... en effet, ce "bombardier" est très lent avec ses 200km/h et vol très loin. Il ne peut bénéficier d'une escorte et fait une cible facile aux yeux des chasseurs allemands qui peuvent grimper à 700km/h. Daillière va alors mettre son héritage naval sur la table et penser à Surcouf. Comme le corsaire qui souvent pouvait anéantir une flotte avec un simple Brick, il va décider de frapper fort et vite après une approche furtive, souvent de nuit. Ça y'est, les équipages du Jules Verne ont leur surnom : les corsaires.
Après un petit convoyage à Bordeaux-Mérignac, où les pistes sont en dures, Daillière a trouvé sa première cible : Berlin. Le Jules Verne va rentrer par la très grande porte de l'Histoire en conduisant le premier bombardement aérien de la ville au pire moment possible, alors que cette dernière est protégée par une myriade de DCA et dont une grande partie est bunkerisée. C'est aussi oublier qu'une grande partie de l'Allemagne subit le même traitement défensif ainsi que les territoires conquit par le Fürher.
7 Juin 1940
Le Jules Verne part à 15h30 de l'après-midi, il survole Dunkerque ainsi que Lille, aux mains ou presque des Allemands, puis se dirige vers le Danemark. Daillière a donc décidé de contourner l'Allemagne vers le Nord puis "piquer" vers Berlin par la trajectoire la plus incongrue possible, profitant de l'effet de surprise que lui offre l'autonomie généreuse de l'avion.
À minuit, Berlin est en vue. Le Jules Verne passe au-dessus de l'aérodrome de Tempelhof, et pour éviter les tirs, décide de mimer un atterrissage en survolant la piste de la base ennemie à 10m du sol. Les ennemis y croit, ils pensent avoir à faire à un avion allemand en difficulté, ne pouvant pas distinguer les cocardes. Puis, ils remettent les gazs et se dirigent vers les Faubourg de Berlin en mimant un autre tour de piste, faisant croire qu'ils vont atterrir. Une fois au-dessus, le Farman largue 8 bombes de 250 kgs puis 80 bombes incendiaires de 10 kilos à la main par l'équipage ... et une chaussure. Le Second-Maître Deschamps a en effet décidé de faire un pied-de-nez à Hitler, de la part des corsaires. Dans la nuit, le Jules Verne essuie les tirs de toute la DCA berlinoise et des chasseurs sont à ses trousses. Daillière désynchronise les moteurs, les faisant tourner à des régimes différents, faisant croire à la présence d'une escadrille au lieu d'un seul avion. De plus, une fois Berlin passé, la campagne est beaucoup moins surveillée, et grâce à divers virages, le Jules Verne largue ses poursuivants.
L'avion noir rejoint après 13 heures et 40 minutes de vol, le sol de Chartres. Il est 5h10 du matin et l'avion vient de bombarder Berlin pour la première fois, et malgré le fait qu'ils soient condamnés à mort par coutumace par le Fürher lui-même, ils recommenceront avec le même succès trois jours plus tard. Les britanniques quant à eux, échoueront à deux reprises à faire le même exploit et il faudra attendre 1944 pour que Berlin soit de nouveau bombardé.
Mais Daillière est décidé à faire mieux. Beaucoup mieux. Après diverses missions au-dessus de l'Allemagne, il décide alors de s'attaquer à l'Italie. Et le 13 Juin, alors que cette dernière vient d'entrer en guerre, Daillière et son équipage bombardent le plus grand centre d'armement italien, celui de Marghera près de Venise. Ultime provocation, ils survoleront aussi Rome en balançant des milliers de tracts anti-fascistes.
L'armistice venant, l'équipage est en partie démobilisé. Seul Daillière reste au sein de la Marine Nationale et continuera sous les couleurs de Vichy, contre son gré comme beaucoup d'officiers. Il trouvera la mort contre les britanniques en 1942. Le Jules Verne quant à lui fut brûlé sur la demande de Daillière. Il quittera la flotte de l'aéronavale avec 17 missions exécutées et réussies. Les corsaires de l'aéronavale ont su être à la hauteur de l'héritage de Surcouf.
Sur le sujet :