Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les démultiplicateurs de force ne doivent pas devenir la norme

Le démultiplicateur de force désigne toute unité ou tout équipement qui, lorsqu'il vient en complément d'une force conventionnelle, permet d'accélérer le tempo d'une mission ou améliorer l'efficacité des unités conventionnelles. Dans cet article nous les verrons sous le spectre des forces armées ainsi que des forces de sécurité intérieure, tant en France qu'à l'étranger.

Les démultiplicateurs de force (DF) sont nombreux : les avions de chasse ou hélicoptères de combat, les unités de forces spéciales, et dans le spectre de la sécurité intérieure : les caméras de vidéosurveillances, les brigades anti-criminalité, etc. En cela donc, deux dénominateurs communs : les démultiplicateurs de force, pour être considérés comme tels ne doivent être ni nécessaires, ni autonomes. En cela les forces spéciales constituent un démultiplicateur de force car elles viennent en complément d'un dispositif conventionnel sans être forcément obligatoires ; en revanche, une exception à cette règle : le GIGN qui est une force spéciale n'est pas un démultiplicateur de force car il agit en autonomie dans le but de résoudre une situation irrésolvable par des moyens conventionnels. On a donc pour cette dernière les deux conditions qui n'en font pas un DF : l'autonomie des moyens et la nécessité de l'unité.

À l'inverse, les avions de chasse sont des DF car beaucoup d'armées peuvent se débrouiller sans et lorsque ce n'est pas le cas, l'utilisation de l'avion de chasse fait appel à un faisceau d'unités en amont (renseignement, etc.) et en aval (logistique, génie, etc.). Aussi, il va sans dire que l'aviation de chasse démultiplie le travail des unités conventionnelles en y apportant, entre autre, la troisième dimension.

La police américaine

Les Etats-Unis d'Amérique possèdent une particularité dont la proportion grandit d'années en années : l'amour que ce pays porte à la standardisation des démultiplicateurs de force (DF), à la banalisation de celle-ci.

Tout d'abord par son système de sécurité intérieure. Loin d'être efficace, celui-ci est composé d'une myriades de polices et de policiers qui obéissent à des règles qui ne sont pas déterminées par leur spécialisation. En d'autres termes, il existe la police des parcs, des forêts, des centres commerciaux et bien d'autres encore et malgré tout, tous les policiers obéissent aux mêmes règles. La police des parcs n'est pas la police spécialisée dans les parcs, mais la police qui se situe dans les parcs. Il existe par exemple au niveau fédéral au minimum une police par ministère et bien souvent beaucoup plus, y compris au ministère de l'agriculture ou de la santé, et aucune coordination dans cette myriade de forces de police. Mais là où se situe la multiplication des DF est dans la militarisation généralisée des forces de police américaines.

Les armes de guerre, panache des forces d'intervention ou des forces qui ont un risque avéré d'opposition armée (stups, douanes, etc.) deviennent l'équipement de base du policier américain, peu importe où celui-ci est situé, y compris s'il n'est qu'un bête gardien d'école (qui, encore une fois, possède les mêmes pouvoirs que ses collègues des stupéfiants). Encore au niveau au-dessus, au niveau des dites forces d'intervention, aux USA il n'existe pas une force d'intervention nationale. Il existe en revanche plus de 10000 équipes d'intervention (SWAT), y compris dans les parcs nationaux comme Yellowstone ou le Grand Canyon. D'autres chiffres : en 1980 il y'avait 300 interventions chaque année des équipes dites "SWAT" dont 80% étaient effectuées dans le cadre d'une prise d'otages, de tireurs embusqués ou barricadés. Aujourd'hui il y'a plus de 80 000 interventions par an dont seulement 7% concernent ces scénarios et dont seulement 35% sont effectuées contre des gens armés.

À Baltimore, lors des émeutes qui ébranlèrent la ville, là encore les USA firent preuve d'une utilisation non-orthodoxe des DF. En premier lieu, là encore, le maintien de l'ordre fut confié à des unités situés au-dessus dans la hiérarchie des intensités de conflit : la Garde Nationale. Comprendre ici que les gardes nationaux sont normalement utilisés dans des conflits symétriques (face à une autre armée) de basse à haute intensité. Ici, pas d'intensité du tout ou alors très faible car il s'agit d'une émeute sans armes à feu. Pire : la Garde Nationale est ici pour le maintien de l'ordre, et non son rétablissement. Il s'agit donc de missions de surveillance générale ou dissuasion. Des missions qui nécessitent des pouvoirs et des compétences de police dans le but d'appréhender des suspects de manière préventive et de pouvoir contrôler les foules. Comment les Etats-Unis peuvent-ils contrôler les foules avec des para-militaires non formés à cette mission et dont le seul pouvoir réside dans celui de leur arme chambrée en 5.56 ?

La Garde Nationale déambule donc en équipe de 3 ou + dans les rues de Baltimore, passant à côté de casseurs ou de dealers, potentiellement des gens qui pourraient représenter un danger si jamais il venait à y'avoir une escalade de l'émeute, et ce, sans qu'ils ne puissent rien faire. Les derniers jours, les gardes nationaux abandonnèrent casques, gilets pare-balles et armes pour simplement patrouiller en uniforme, évitant ainsi toute bavure et assurant la surveillance d'une manière générale de façon pacifique et non-agressive. Mais lorsque l'ordre était compromis, lorsqu'il fallait le rétablir, en lieu place d'unités spécialisés comme nos gendarmes mobiles ou les CRS, la Baltimore Police Department a fait appel à une partie de ses policiers ainsi qu'à son équipe d'intervention "SWAT".

C'est une curiosité propre aux USA, le maintien de l'ordre est effectué avec de vraies armes et des hommes peu entraînés, en dépit des armes non-létales et des stratégies qui existent dans le domaine. Il est question encore une fois de quasi-paramilitaires mais cette fois-ci avec tout les pouvoirs abusifs connus des policiers américains : une recette connue depuis les émeutes de Los Angeles en 1992, où les équipes SWAT du LAPD et du FBI intervinrent dans la ville, causant près de 80% des 60 morts et des milliers de blessés. C'est cette utilisation non graduée des démultiplicateurs de force qui cause tant de morts aux USA lors des répressions policières, et ce n'est pas quelque chose qui sera remis en question dans les prochaines années.

L'armée américaine

Les américains sont aussi assez peu orthodoxes s'agissant de leur armée, et plus particulièrement dans l'utilisation de l'arme aérienne. Le drone est symptomatique d'une utilisation autonome de l'armée aérienne, ce dernier est utilisé dans un monde "chasseur-tueur", c'est-à-dire qu'il se charge de l'acquisition et de la neutralisation des cibles au même moment. Et cela ne va pas sans problèmes : sur les 5 premiers vols en Afghanistan effectués par les drones Predator, 100% des cibles tuées étaient des civils. Et sur toute la période 2005-2010 les chiffres ne sont pas plus glorieux : 84% des tués étaient des civils. En cause : là encore l'utilisation d'un démultiplicateur de force (le drone) comme une force autonome, alors que cette force possède de gros travers : s'il permet de trouver plus facilement des cibles de par son point de vue situé au-dessus et sa caméra thermique, beaucoup d'objets peuvent être pris pour des armes lorsqu'ils sont vus depuis une caméra située à 6km au-dessus retranscrite sur un écran de 18", sans compter les interférences radios qui peuvent très largement dégrader l'image.

Mais il en va de même pour les aéronefs classiques à pilote, l'utilisation des américains est à l'image de ce que l'opinion publique en a depuis la guerre du Viêtnam : avec énormément de bavures. Idem pour leurs forces spéciales, à l'image de celles des US Marines (MARSOC - Marines Special Operations Command) qui ont fait plusieurs fusillades à l'encontre de civils irakiens car pas formés pour le contrôle de foules. Même si, d'une manière générale, il y'a toujours cette constante de manque d'entraînement qui revient souvent dans les affaires américaines - et qui est totalement justifiée - c'est aussi l'utilisation de forces non-adéquats qui provoquent des incidents sérieux, voir des accidents. Pärfois, plus rarement, cela provoque une inefficacité profonde.

Nous sommes en mars 2002 en Afghanistan, les troupes de montagne américaines, ainsi que des Rangers et des forces spéciales, vont débuter l'Opération Anaconda. Cette opération vise à reprendre une vallée tenue par des talibans afghans, pakistanais et tchétchènes : Shah-i-kot. Outre le manque de préparation évidente de la division de montagne américaine, qui n'a vu jusqu'alors que le désert du Nevada et ne possède aucun équipement spécifique aux environnements hostiles, les décideurs militaires étasuniens ont décidé qu'ils n'appliqueraient aucune stratégie propre au combat montagnard. Il faut s'imaginer deux massifs de plus de 4000m de haut qui se font face, et sur chacun des sommets, des combattants, des mortiers, prêts à en découdre avec les forces américaines. Ici, les USA vont effectuer ce qui sera considéré comme l'une des pires opérations militaires modernes. S'acharnant à envoyer des hélicoptères peu adaptés à l'environnement, l'US Army perdra près de 4 MH-47 Chinook, dans divers accidents qui causeront la mort de 8 soldats et 75 blessés. En outre, l'utilisation abusive de l'aviation de combat comme facteur principal de progression dans la vallée portera préjudice aux troupes aux sols qui, aveugles, se retrouveront à plusieurs reprises tenues en respect par un ennemi caché dans des grottes.

Aussi, certains équipements manquaient cruellement : certaines équipes de Navy Seals furent exfiltrées car elles ne possédaient pas les équipements adéquats pour la haute montagne, notamment en matière d'oxygène, et des équipes du 87è d'Infanterie abandonnèrent leurs sacs, trop lourds pour l'environnement de montagne. En l'occurrence, les décideurs souhaitaient que les démultiplicateurs de force tels que les Navy Seals, puissent progresser de manière rapide, tandis qu'ils tentaient de transformer les troupes conventionnelles (87è d'Infanterie) en démultiplicateur de force en les armant beaucoup trop. C'est cette incohérence qui sera répétée à plusieurs reprises durant les conflits afghans et irakiens. C'est cette frontière floue entre la base du feu et le support du feu qui causera tant de torts aux américains sur beaucoup de conflits.

La vidéosurveillance

Sans aller jusqu'aux drames américains, la France possède certains exemples d'utilisation de démultiplicateurs de force qui ne se révèlent en l'état que très peu probant. L'exemple des caméras de vidéosurveillance est assez parlant. Qu'elles soient contrôlées par l'Etat (la Police Nationale) à Paris ou par les communes dans le reste de la France, les caméras n'ont pas d'incidence particulière sur les flagrants délits. Elles en ont en revanche sur les enquêtes judiciaires facilitées grâce à la présence de ces dernières. Un exemple : Nice. Première (et seule) ville de France à être entièrement vidéosurveillée, Nice possède une criminalité équivalente ou légèrement plus élevée que la moyenne nationale, et la résolution des crimes et délits est aussi légèrement supérieure à la moyenne constatée en France métropolitaine.

En cause ? Encore un manque évident de doctrine, d'entraînement, mais aussi un "trop-plein" de caméra. Il n'est en fait pas si aisé que ça de retrouver un criminel lorsque l'on a à sa disposition plusieurs dizaines de caméras, aucune méthode de travail, des matériels (ordinateurs, interface Homme-Machine, etc.) peu adaptés, et aucune formation en ce sens. Cette constante municipale se retrouve moins au sein de la Police Nationale qui possède une formation pour les opérateurs ainsi que pour les superviseurs, mais qui elle non plus ne possède pas de méthode de travail claire et de matériels réellement adaptés.

Ce fameux démultiplicateur de force censé guider les policiers comme des missiles sur la criminalité endémique ou de suivre cette dernière, ne le fait tout simplement pas. C'est d'ailleurs ce qui va nous permettre de commencer à tirer vers notre conclusion : c'est parce qu'ils sont en petit nombre qu'on peut mieux les entraîner ou les utiliser. Cette volonté incroyable de se vouloir se doter d'autant de caméras et aussi rapidement au détriment d'une installation qualitative d'un nouveau moyen de surveillance générale, provoque une paralysie de ces services qui immobilisent énormément de moyens humains (environ plus de dix personnels par quart), et provoque une boulimie de la formation. En effet, si aucun travail n'est fait pour corriger cela à temps, de mauvaises habitudes se mettent en place qui vont requérir un travail titanesque pour se défaire. En outre, il faut que les personnels soient conscients du fait que leurs difficultés à faire fonctionner leur service est dû à une occultation totale de la réflexion stratégique et doctrinale sur leur nouveau matériel. Et c'est donc pour ça, que les démultiplicateurs de force ne doivent pas devenir la norme, sans cela ils n'auront pas la souplesse nécessaire pour avoir une vision de ce qu'ils font, ni la petitesse nécessaire à un travail plus qualitatif que quantitatif.

Les commentaires sont fermés.