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Considérations tactiques et opérationnelles du trinôme

Situation archaïque issue d'une délibération arbitraire, le binôme est devenu la base dans le monde du travail sans pour autant atteindre l'armée qui lui préfère le trinôme. En Police et en Gendarmerie, le binôme a atteint les esprits et ce depuis bien longtemps. Certaines polices municipales utilisent même des patrouilles constituées d'un seul policier, héritage des gardes-champêtres (toujours existants mais en voie de disparition) que chaque commune de France était obligé de posséder. Les 36 000 villes de France et de Navarre possédaient donc un ou plus garde-champêtres, auxiliaire de la maréchaussée qui veillait en autonomie sur les villes rurales. Au-delà de ça, les gendarmes, lieutenants de police ou gardiens de police municipale, de 1789 aux années 1970, se déplaçaient rarement seuls, avec un effectif compris entre 3 et 7 personnels.

Par ailleurs, toutes ces institutions ou entités étaient souvent dotées de camionnettes, et bien avant de carrioles, il fallait donc déplacer le plus de personnel en un temps réduit sous peine de ne pas voir les renforts arrivés avant plusieurs dizaine de minutes en cas de problème, les moyens de transport et les chaussées de l'époque n'aidant pas à se mouvoir rapidement. Il en allait de même pour les garde-forestiers ainsi que les douaniers.

Mais la modernité a pris le dessus et c'est alors qu'à partir du début '80, l'on vit apparaître la voiture personnelle comme norme de déplacement des patrouilles de police hors Police-Secours, et par la même occasion, les patrouilles passèrent à deux personnels, parfois trois lorsqu'un stagiaire venait d'arriver. Pourtant, contrairement à la croyance populaire, les effectifs de police et de gendarmerie n'ont jamais décrus depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le binôme s'affiche alors très certainement comme la décision la plus contre-productive dans le pauvre paysage de la réflexion stratégique appliquée à la sécurité intérieure ... pauvre, inexistant ou délibérément ignoré ?

Un fait : Collobrières

Le 17 Juin 2012, la maréchal des logis-chef (MDC) Audrey Berthaut et l'Adjudant (Adj) Alicia Champlon de la Brigade Territoriale de Pierrefeu sont appelées pour un différend de voisinage à un domicile connu. Le différend ferait suite au vol d'un sac à main par l'homme habitant le domicile contre le mari de la victime du vol qui serait venu récupérer ledit sac.

Le domicile se situe au second étage, et alors que les deux gendarmes font route, elles entendent cris et coups au-dessus de leur tête. D'autres équipages sont alors en route, mais elles vont stabiliser la situation pour éviter tout dérapage, toute violence et surtout pour commencer à établir le contact. À peine arrivées dans l'appartement la MDC Audrey Berthaut est assommée par le domiciliant qui lui retire son arme et lui tire un coup de feu à bout portant. L'Adj Alicia Champlon, court à travers la porte d'entrée toujours ouverte puis se met à couvert dans l'escalier. Finalement, devant la détermination de l'homme elle poursuit son chemin, sort de l'immeuble et tente de s'enfuir, l'homme va alors la rattraper et l'abattre sur la Place de Collobrières.

Ce cas d'école a été tour à tour pris pour convaincre de la nécessité du non-armement, de la nécessité d'être armé, de la nécessité d'avoir des équipages mixtes et bien d'autres excuses fumeuses. Au mieux l'on peut s'interroger d'un quelconque défaut de procédure ou de placement des deux gendarmes qui ne contrôlaient peut-être pas toute la pièce, mais ni la stature des femmes, ni leur équipement est en défaut et ce n'est pas cela ici qui va nous intéresser.

Dans les faits, les appels pour problèmes domestiques sont souvent les plus redoutables de tout les points de vue. Ils doivent combiner une psychologie et une médiation sans faille, et le cas échéant si débordement, une maîtrise des tactiques urbaines et du combat urbain pour éviter de se retrouver piégé sans la possibilité de riposter ou d'attendre des renforts.

Lors de la première phase "de contact", il est d'usage de se mettre de chaque côté ou l'un derrière l'autre d'un des deux côtés de la porte pour se mettre en protection et éviter tout coup de feu à travers la porte, ou de se retrouver à reculer contre le mur ou l'escalier qui pourrait se situer dans l'axe de la porte. Le second, qui se tient alors derrière, a le dos contre le mur, lui permettant de faire un 90° dans les deux directions : soit pouvoir supprimer un danger en arrière du binôme ou pouvoir aider le premier en avant. C'est une étape cruciale qui permet de prendre contact sans danger.

Lors de la seconde phase, les deux agents vont rentrer toujours derrière l'hôte, et prendre place dans les coins de la salle. C'est une phase critique car pour les agents se distingue trois buts : contrôler l'entrée pour éviter de se faire prendre à revers et pouvoir sortir rapidement ; éviter que les protagonistes aillent chercher des outils ou des armes, enfin ne pas alerter ou paniquer les habitants. Le fait de se mettre dans les coins permet de ne pouvoir se faire attaquer que de face, et donc de contrôler la situation. C'est ici que le trinôme prend tout son sens. Avec l'aide d'un troisième agent, l'équipe peut prendre une formation en triangle avec deux agents positionnés dans la salle dont l'un contrôle les entrées et sorties vis-à-vis de l'extérieur ainsi qu'assure la sécurité de l'agent en médiation, le troisième quant à lui, situé derrière les protagonistes ou à une entrée critique (l'entrée de la cuisine par exemple) contrôle les mouvements à l'intérieur du domicile.

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Il y'a donc ici, un intérêt particulier à obtenir la présence d'une troisième personne, le trinôme possédant une flexibilité tactique accrue, ainsi qu'une facilité dans le modus operandi, tant en terme d'observation que de déplacement.

 

Les autres applications et les contraintes opérationnelles

Autre avantage non négligeable, le trinôme comme norme opérative est compatible avec toutes les brigades : nautiques, motorisées, pédestres (îlotages), les trinômes permettent de parfaire les mises en oeuvre de certaines procédures. Deux exemples : en îlotage, la formation triangle adoptée en marche permet d'avoir un ouvreur et deux seconds, ce qui complique la tâche d'une quelconque embuscade ; aussi, lors d'un contrôle routier, cette fois-ci pour une patrouille véhiculée, le fait d'être trois permet d'avoir deux personnes dédiées au contrôle et un personnel dans le véhicule prêt à repartir en cas de délit de fuite.

Si elle créée des contraintes opérationnelles comme une limitation intrinsèque du nombre de patrouilles circulant (3 patrouilles de 2 sont remplacées par 2 patrouilles de 3), la normalisation du trinôme possède quelques avantages. Elle libère légèrement les finances en réduisant le nombre de véhicules en circulation (il faut 3 voitures pour faire patrouiller 3 binômes, mais seulement 2 voitures en trinômes), assure une flexibilité en terme de ressources humaines car il est possible de revenir au binôme de manière ponctuelle et cela sans préavis. Elle diminue aussi, par son efficacité, légèrement les incidents et accidents, et permet in fine, un meilleur contrôle du territoire. En effet, que l'on parle d'un territoire stratégique, le trinôme étant un marqueur stratégique fort sur le long-terme, ou un territoire tactique, l'équipe à trois possède des qualités essentielles à l'installation durable d'une politique de sécurité efficace, rigide dans son application mais souple dans son organisation.

Beaucoup de missions sont très difficiles à réaliser à deux sans faire de sacrifices, et la réactivité du binôme est faible. Un autre cas d'école : les agents remarquent un homme en dérobant un autre. Dans le cas du binôme, le dilemme se pose : est-ce que les deux agents abandonnent le véhicule ? Est-ce que seulement l'un des deux se lancent à la poursuite ? Ou est-ce qu'ils poursuivent tout deux le fuyard en véhicule ? Cette décision va, de toute façon, conditionner la réussite ou non à répondre efficacement à cette intervention forcée. En trinôme, la situation est beaucoup plus simple : deux descendent, chacun d'un côté du véhicule, et le troisième poursuit en véhicule. Si cela ne garantit pas pour autant la prise en flagrant délit de l'auteur des faits, cette construction en augmente au moins ses chances. 

D'autant que, la réduction du format militaire des équipes et groupes étant justifiée par l'amélioration technologique (notamment FELIN), cette donnée est quasiment inexistante en matière de sécurité intérieure, et cela n'a que peu de chances d'arriver. Actuellement rien n'est prévu pour améliorer l'efficacité des policiers par l'adjonction de systèmes technologiques ; ni en France, ni ailleurs. C'est donc toujours aux décideurs et à la stratégie de déterminer quelle est la meilleure méthode pour arriver aux résultats, et en cela le trinôme est une solution efficace et peu (pas) coûteuse.

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